Le son de la sonnerie d’entrée le sortit de sa léthargie. « Hé ? C’est qui ? » Il enfila une de ses chemises blanches qu'il récupéra au hasard dans son placard, puis se dirigea vers la porte pour ouvrir. « Si c’est Akio qui a cru que c’était aujourd’hui le karaoké, j’le bute ! » Il enfonça la clé dans la serrure, fit deux tours, puis ouvrit la porte.
«Konnichiwa.
-… E… Emi ?
-Hai. »
Il resta sans voix, la bouche béante. Il ne savait ce qu’il voyait était réel ou s’il dormait toujours. Il la regarda de haut en bas, comme s’il ne la reconnaissait pas. Lorsqu’il croisa son regard, il remarqua de ses yeux débordaient de larmes. Elle lâcha le sac à main qu’elle tenait jusque là entre ses mains et essuya une larme qui coulait sur sa joue.
« Sashiburi… Kyo-kun.
-… »
Aucun mot ne parvenait à sortir de la bouche du jeune homme qui continuait de la fixer comme une revenante. La jeune femme baissa la tête, les larmes sur ses joues se faisaient plus abondantes. Elle sauta au cou de Kyo, le sourire aux lèvres, tant elle était heureuse de le revoir après autant de temps. Kyo ne réalisait toujours pas. Un doux parfum émanait de celle qu’il aimait, il posa lentement sa tête sur l’épaule d’Emi afin de le sentir. « C’est le parfum que je lui avait offert avant qu’elle ne parte. » pensa-t-il. Il réalisa enfin qu’elle était rentrée, que cette personne dans ses bras était celle qu’il attendait depuis trois ans. Il la serra dans ses bras, et laissa le bonheur l’envahir et se manifester de larmes de joies, tout comme elle.
« Okaeri nasai. »


Chapitre 2
Accident


L’appartement de Kyo commençait à s’assombrir, les nuages au dehors couvraient peu à peu le ciel qui perdait alors de sa couleur et de sa clarté. Le jeune homme alluma la lumière puis rejoignit Emi dans le salon. Elle s’était installée sur un fauteuil couvert de coussins assez gros pour en faire des oreillers, et Kyo s’assit juste en face. Entre eux deux se trouvait une table basse d’un noir sobre sur laquelle le propriétaire du studio avait posé deux tasses de thé. Ils entamèrent alors une longue discussion, elle lui raconta ses trois années passées à Los Angeles, ses derniers instants de lycée, le début de ses études, et sa vie quotidienne. Kyo était absorbé par son visage, si différent d'il y a trois ans, par sa peau bronzée, ses cheveux longs, ses yeux, et sa voix, sa voix qui lui avait manqué. Il l’écoutait tout en sirotant son thé, et affichait un certain sourire. Soudain, Emi s’arrêta, comme si elle s’était rappelée d’une chose importante. Elle posa sa tasse sur la table puis regarda Kyo droit dans les yeux.
« Dis, Kyo, il faut que je te présente quelqu'un!
-Ah?
-Hai ! My new room-mate!
-Mai nyuu ruumu meito?
-Yes! Mon nouveau colocataire, si tu préfère.
-Hééé? Tu vis avec quelqu’un d’autre ?
-Hai.
-Arf, le pauvre, dit-il d’un ton moqueur.
-Héééé maaaaais t’es méchant ! Pour la peine, tu viens avec moi !
-Où ?
-Chez moi !
-NANIII ??
-Je voulais faire les présentations la semaine qui suit, mais t’es méchant avec moi ! Dis-toi que c’est pour le dédommagement.
-Hééé mais ça va pas non !? »
Emi lui lança aussitôt un regard noir qui le glaça sur place. Il ne discuta pas plus longtemps, enfila une veste, éteignit la lumière dans toutes les pièces illuminées et prit son portable. Il referma la porte à clé derrière lui, puis ils descendirent en dévalant les escaliers. Une fois dehors, Kyo remarqua qu'il faisait encore plus sombre. Ils coururent jusqu'à la gare la plus proche, prirent des tickets puis montèrent dans le train à destination de Funabashi, là où habitait Emi, à quelques kilomètres de Tokyo.
«Pourquoi tu nous as fait courir ??
-Parce que ! Je suis impatiente de vous présenter !
-Hm… T'habite toujours aussi loin?
-Hééé oui.
-Ca fait longtemps… que je ne suis pas retourné chez toi.
-La dernière fois que tu es venu c'était pour une chibi party, je crois.
-Chibi?? On était au moins 30!!
-Ah, oui, dit-elle simplement en souriant. »
Au loin, le ciel était encore dégagé. Kyo regardait ce paysage lointain, il le regardait sans penser à rien, l‘air blasé.
« Tu déteste toujours le mauvais temps?
-Héké?
-Oui! Tu regarde le seul endroit où il fait encore beau avec une tête d'enterrement.
-Ha... oui... Le mauvais temps ça me fait déprimer. C’est moche, sombre et moche !
-Hihi !
-Ah dis ! C’est qui, ce « nyuu ruumu meito » ?
-C’est « room-mate » ! T’es devenu naze en anglais ?
-Heu ? Mais non !! hmm… ben, c’est qui alors ?
-Ah ça, tu verras bien. En tout cas, vous devriez vous entendre, vous vous ressemblez sur quelques points.
-Ah bon ? Et eux… c’est une fille ou un garçon ?
-It’s a secret !
-Huu ? S’il faut c’est une mignonne petite américaine, avec une grosse paire de <3
-ECCHIII ! »
Plus tard, ils arrivèrent chez Emi. Ils passèrent par un grand jardin embelli de toutes sortes de fleurs exotiques et de plantes asiatiques. Lorsqu’ils entrèrent, ils se retrouvèrent dans le salon. Le style était assez traditionnel mais ne manquait pas de charme, avec du parquet et des portes en toile à coulissant. Les meubles quand à eux étaient typées occidentaux, rendant un certain contraste entre ces deux styles. Les murs étaient décorés de divers tableaux et photos encadrées, et Kyo regardait chacune d’entre elles.
Pendant qu’il les contemplait, Emi déposa sa veste sur un des fauteuils de la pièce puis disparut dans une des salles voisines sans que son invité ne s’en aperçoive. Lorsqu’elle réapparut, elle était accompagnée d’un homme qui devait avoir leur âge, il était habillé décontracté mais classe avec un jean bleu marine et une chemise jaune cintrée. Ses cheveux étaient châtains et ses yeux verts avec des variantes de marron.
Il devait mesurer la même taille que Kyo ou être un peu plus grand et paraissait musclé, car la forme de ses muscles ressortait sous sa chemise. Kyo l’observa un court instant, son regard se portait surtout sur son visage aux traits fins ; pour un homme de son envergure cela lui donnait du charme.
« So ! Kyo, je te présente « my new room-mate ».
-Aheum… Hajimemashite. Watashi wa Jamie Hedburn desu.
-Hajimemashite, Kurogane Kyo desu.
-Jamie ne parle pas encore correctement la langue, alors le plus souvent on parle anglais. Ca ne te pose pas de problème si tu parle aussi sa langue ?
-Nan c’est bon ! J’suis pas un as mais ça devrait aller, dit-il en souriant. »
Plusieurs minutes s’écoulèrent depuis. Ils étaient maintenant assis à discuter autour d’une table basse, une boisson à la main. Le dialogue demeurait difficile au début, puis le courant passait de mieux en mieux entre Kyo et Jamie qui se comprenaient très bien. Au fil de la discussion, un soupçon de complicité se créait entre eux deux. Ils souriaient, l’ambiance était agréable, puis Emi dévoila un éléments dont elle n’avait pas encore parlé.
« Ano… je ne te l’ai pas encore dit, mais Jamie et moi sortons ensemble depuis cinq mois.
-… »
Il resta sans voix. Tout ce pourquoi il avait tant attendu son retour s’était effondré en une seconde. Il sentait que des larmes lui montaient aux yeux, mais il lutta le plus ardemment possible pour ne pas les laisser apparaitre. Quelques mèches lui cachaient les yeux, et lorsqu’il releva la tête pour découvrir son visage, il semblait être naturellement de bonne humeur. « Faire bonne figure ! » se disait-il.
« Omedetooooo, déclara-t-il. »

Kyo partit bien plus tard dans la soirée. Le ciel était sombre et quelques gouttes chutaient depuis d’immenses nuages. Il prit le chemin de la gare ; il marchait lentement, les mains dans les poches, vide de pensées. Cinq minutes passèrent, et la pluie se fit soudain plus violente. Le temps était tel qu’on ne voyait pas net à plus de 50mètres.
Au bout de plusieurs minutes, il marchait le long d’une longue allée. Il n’y avait presque personne à cause du temps, et le trafic se trouvait aussi faible. Le feu pour piétons devint rouge, et Kyo s’arrêta avant de pouvoir traverser une rue adjacente à l’allée. Aucune voiture ne passait, mais le jeune homme ne voulait pas bouger. Il aperçut en face une femme vêtue d’une parka jaune qui marchait dans sa direction ; elle ne semblait pas prêter attention à ce qui l’entourait, et alors qu’elle s’apprêtait à traverser, un bus arrivait. « Merde ! Ca craint ! » Kyo se précipita sur la jeune femme et la poussa hors de la chaussée, le klaxon du bus retentit.
La jeune demoiselle se releva et regarda la route. Elle vit le bus stoppé au milieu du passage, et celui qui venait de la sauver allongé, plus loin, la tête dans une flaque de sang.
« … à… à l’aide ! TASUKETE !! »


« J’ai mal… je veux mourir…»