29e jour du mois de Yuyio, 1236
Après plusieurs semaines à patauger dans les marais de Coacville à la poursuite de batraciens renégats et de mollusques coriaces, Gorn Valim revint à son village natal.
Sarosa n'avait guère changé depuis son départ. Blobs bleus et Lapins blancs continuaient d'infester la région, mais leur population était régulée par les nouvelles recrues de la caserne, toujours aussi nombreuses et indisciplinées.
Gorn se rendit tout droit à la maison de son enfance. L'odeur de renfermé et l'épaisse couche de poussière qui l'accueillirent lui rappelèrent amèrement la solitude qu'il éprouvait depuis la mort de son père. Mû par une nostalgie soudaine, il se rendit à la forge. La froideur du lieu et le silence qui y régnaient contrastaient avec ses souvenirs riches en rougeoiements et en coups de marteau. Avec un soupir, Gorn se défit de son armure Ecopirum fatiguée, se vêtit plus légèrement et sortit pour acheter des provisions et aller ramasser du bois.
À son retour, quelqu'un l'attendait sur le pas de sa porte.
L'homme était grand et maigre. De longs cheveux gris et sales retombaient sur son ample manteau gris qui le recouvrait entièrement. Sa longue barbe grise lui donnait l'allure d'un professeur de l'école de magie de Trigorn, mais l'épée suspendue à sa ceinture démentait cette impression. Il montait un cheval robuste, campé fièrement sur ses pattes malgré les lourds bagages qu'il portait. Le cavalier retenait sa monture d'une main ferme et maîtrisée.
Gorn salua d'un signe de tête méfiant l'étranger, qui en retour le fixa intensément. Au grand désarroi du jeune homme, l'étranger mit pied à terre et, sans même attacher sa monture, il le suivit à l'intérieur de la chaumière.
- Vous voulez quelque chose ? s'enquit Gorn.
L'étranger resta sans réponse, dardant toujours sur le jeune homme son regard acéré. Enfin, il prit la parole.
- Tu es le fils de Yalo ?
Après un instant d'hésitation, Gorn acquiesca.
- Vous connaissiez mon père ?
Sans répondre, l'étranger alla s'asseoir. Gorn referma la porte. Toujours désespérément silencieux, l'homme prit sans cérémonie un oignon de la besace que Gorn avait posée sur la table, sortit son poignard et commença à l'éplucher et à le grignoter. Mal à l'aise, Gorn éloigna prudemment ses autres victuailles. L'étranger, entre deux bouchées, le fixait d'un air toujours songeur. Gorn, qui ne pouvait soutenir ce regard finit par s'occuper à faire bouillir de l'eau et à préparer son repas.
Il sursauta lorsque l'étranger rompit le silence.
- Alors, il est mort ?
Gorn se retourna et tenta, en vain, de déchiffrer l'expression du visage étrangement neutre de l'intrus.
- Euh... oui. Il est mort au début du mois de Kitisbé.
L'étranger acquiesca, songeur. Puis, semblant brusquement avoir oublié Gorn, il se leva et sortit. Gorn resta pétrifié, secoué d'interrogations. Mais l'étranger revint presque immédiatement, avec un lourd paquet sur les bras qu'il posa sur la table, au beau milieu des épluchures d'oignons. Il regarda un instant Gorn Valim, puis lui sourit. Sans rien ajouter, il sortit, et Gorn l'entendit repartir au petit trot.
Gorn ouvrit le sac. À l'intérieur, pêle-mêle, étaient rangées les différentes pièces d'une armure faite d'une étrange matière. Un cuir à la fois épais et souple, de couleur jaune. Ayant, bien malgré lui, un oeil d'artisan exercé, il n'eut pas besoin d'essayer l'armure de cuir pour savoir qu'elle était à sa taille. Et qu'elle n'était pas une armure de cuir ordinaire.
Mais Gorn restait soucieux. Il frissonnait encore au souvenir du sourire que lui avait lancé le mystérieux étranger. Un sourire glacial, insoutenable.
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