(style plus "sérieux" pour ce texte appelé à avoir une suite ; il décrit des événements antérieurs au texte "L'Etranger", dans lequel mourait Vyyrm Clavius, l'homme qui a donné l'armure jaune à Gorn Valim.)
Y V
Un port étranger, 21e jour de Grimstel, 1236 (selon le calendrier de Vesperae)
Encore une soirée passée dans cette taverne malodorante à supporter les conversations stupides de ces barbares incultes.
Vyyrm tirait sur sa pipe et soufflait la fumée avec hâte, brouillant sa vue, le dissimulant aux regards, et dissipant les odeurs rances de sueur, de bile et d'alcool. Découragé, il savait bien qu'il n'apprendrait rien, ce soir encore. Demain, avec la marée, pas moins de trois bateaux quitteraient ce port infâme. Sur lequel allait-il embarquer ? Les trois destinations étaient très différentes. Où Yalo avait-il pu se rendre ? Le vieux briscard était imprévisible, à défaut d'être subtil. Vyyrm esquissa un sourire, du coin de ses lèvres. Imprévisible, certes, mais lui, Vyyrm Clavius, lui était tenace. Et même si Kharhj l'avait assuré de l'efficacité du maléfice, il voulait voir de ses yeux le traître se vider de son sang. Et à la réflexion, il voulait être celui qui lui infligerait la blessure fatale.
Devant sa table, un marin se leva, devint livide et se mit à vomir ce qu'il avait ingurgité dans la soirée avec entrain. Voilà qui ramena Vyyrm à la réalité sordide de cette taverne mal famée. Il décida de rejoindre son auberge. Et de passer toute la nuit à prendre sa décision quant à sa destination ? Non. Après tout, autant prendre un peu de bon temps. Et trouver de la bonne compagnie. Mais pas ici. Il ne voulait pas de ces créatures décadentes tripotées par les marins avinés. Non. Il y avait d'autres maisons, pour une clientèle plus raffinée. Avec un autre de ses sourires glaçants, Vyyrm tapota sa bourse pleine d'or.
Il rejoignit le râtelier d'armes près de l'entrée. Les deux soirs précédents, il avait appris pourquoi il était interdit de conserver son épée. Les bagarres éclataient parfois sans aucun prétexte, et le taux de mortalité aurait été considérablement élevé si ces soiffards avaient eu leurs outils tranchants à portée de main.
En récupérant dans le coffre sa ceinture, à laquelle son épée et son poignard étaient attachés, le Prédateur retrouva alors la piste de sa proie.
Au beau milieu des autres armes. Une épée, nue. Sans doute son propriétaire était-il sans le sou. Mais ça n'avait pas toujours été le cas. D'un coup d'oeil d'expert, Vyyrm avait évalué la qualité de cette arme splendide. Et il avait remarqué les runes gravées juste au-dessus du pommeau, à même la lame. Des caractères nordistes. Une signature.
Il n'y avait aucune erreur possible.
Y. V. Yalo Valim.Sans un mot, une expression indéchiffrable sur le visage, Vyyrm sortit du bouge nauséabond.
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Zandos abattit bruyamment sa chope sur le comptoir.
Zandos - Un autre !Le barman, un colosse borgne et patibulaire, remplit la chope de Zandos d'un liquide noirâtre et douteux. Que l'aventurier avala d'un trait.
Zandos - C'est ma dernière nuit ici. Demain, j'rentre chez moi ! *burps* D'ailleurs, j'y... j'y... j'y... vais.
Sans un mot, le barman attrapa l'épaule de Zandos, qu'il serra avec une poigne pleine de sous-entendus menaçants.
Zandos - Aïe. Ah ouais, j'ai oub... blié d' payer. Tiens, m'sieur.
L'aventurier ivre sortit deux pièces d'argent de sa poche et les plaqua sur le comptoir. Aussitôt, le barman le relâcha. Zandos réajusta sa tunique et se dirigea vers la sortie. En chemin, il reprit son épée, qu'il passa à sa ceinture. En titubant, il franchit la porte.
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Dehors, la nuit était calme, bien que le ciel fût couvert. Zandos se demanda comment passer le reste de la soirée. Demain, retour en Vesperae ! Il fallait profiter de ces derniers instants ! Zandos eut alors l'idée d'aller boire un coup dans une autre taverne. Allons, c'était par où déjà ? Par là ?
L'homme s'engagea dans une ruelle sombre, certain qu'elle le mènerait jusqu'à une bonne auberge.
- Monsieur ?
Zandos s'arrêta. Allons bon. Des coupe-jarrets. Il ne manquait plus que ça. Il dégaina son épée et se retourna.
Zandos - Z'aurez pas ma bourse, ni ma vie !
Mais, en face de lui, il n'y avait qu'une silhouette, à la fois altière et décrépite, impressionnante et frêle. Un vieillard, d'aspect vigoureux, grand et maigre, recouvert d'une longue cape sombre. Il avait des yeux très clairs, et un sourire étrangement antipathique, à moitié dissimulé par sa barbe. Sa cape était déformée par l'épée que l'homme portait à la ceinture.
Tous ces détails, Zandos les avait passés en revue d'un simple coup d'oeil, rompu qu'il était à l'art du duel. Là-bas, en Vesperae, il avait acquis une certaine notoriété en se battant dans les arènes du royaume.
Zandos - Qu'est-z vous voulez ?
L'homme maigre s'avança et s'arrêta juste devant Zandos.
Vyyrm - J'irai droit au but. J'ai besoin d'un renseignement. Mon épée est vieille et ébréchée, et je cherche à la remplacer. J'ai vu la vôtre à l'instant, et je n'ai pas pu m'empêcher d'admirer le travail de l'artisan qui l'a forgée. Pourriez-vous m'indiquer où je pourrais me procurer de telles lames ?
Zandos regarda son épée, un peu déçu de n'avoir pas à se battre. Voilà qui aurait bien clôturé la soirée.
Zandos - Pas ici. J'suis pas d'ici, v'voyez. J'viens d' Vesperae, au sud-ouest. J'ai acheté c't' épée à un forgeron de Sarosa.
Vyyrm - Sarosa ? Je ne connais pas Vesperae... à part le port, Trigorn. Et encore, de réputation.
Zandos - Ben c'est au sud de Trigorn, au-delà du Palais du Roi.
Vyyrm - D'accord. Eh bien, je vous remercie de ces informations on ne peut plus claires. Je vous souhaite une bonne soirée !
Vyyrm se détourna et se dirigea vers la rue principale.
Zandos le regarda s'éloigner. Il aurait tout de même pu lui offrir un verre, en échange de cette information ! Ah, ces indigènes, aucun savoir-vivre. Il avait l'air riche, en plus.
Riche... Cette idée lui trotta dans la tête.
Riche...
Il s'avança silencieusement à la poursuite de Vyyrm. Vite, avant qu'il atteigne la rue du port...
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L'épée marquée "YV" fit un bruit métallique lorsqu'elle rebondit sur les pavés. Puis Zandos s'affaissa, tentant de retenir de ses deux mains le liquide poisseux qui s'écoulait de sa gorge ouverte. Peine perdue. Il s'effondra en laissant échapper un borborygme étouffé, sans même avoir eu le temps de comprendre ce qui s'était passé.
Vyyrm sortit un mouchoir de sa poche et essuya la lame de son poignard. Puis, adressant un sourire au cadavre secoué de spasmes, il se pencha et ramassa l'épée.
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Le lendemain, à l'Auberge de la Hulotte.
Vyyrm - Alors. Voyons si vous avez compris.
Aubergiste - Euh... Vos amis arrivent prochainement, ils choisiront mon auberge, et là, je leur donne ce paquet, et je leur dis "Votre ami a retrouvé la piste du traître".
Vyyrm - Bien. Voici vos 100 pièces d'argent. Demandez-leur la même somme, je suis sûr qu'ils vous la donneront. Surtout si vous avez "d'autres" informations à leur échanger me concernant...
Aubergiste - Oh non, oh non, Messire, voyons, si vous insinuez que j'écoute aux portes...
Vyyrm - Je plaisantais. Bon. Eh bien. À bientôt, peut-être... Et mettez le paquet en lieu sûr. Loin des regards indiscrets.
Aubergiste - Ce sera fait comme vous le désirez, Messire.
L'aubergiste, pour montrer sa bonne volonté, joignit immédiatement le geste à la parole : il ouvrit un compartiment sous son comptoir et y rangea l'épée enveloppée dans un lourd tissu vert. Puis, empressé de voir partir son client, il se permit un petit écart de conduite.
Aubergiste - Eh bien, Messire, si vous voulez rejoindre le port, vous devriez...
Vyyrm - Vous avez raison. Au revoir.
Il adressa un sourire à l'aubergiste et lui serra la main. Une sueur froide envahit le pauvre homme : ce n'était pas les yeux perçants, ce n'était pas le sourire glacial, il s'y était finalement habitué. Non : c'était le contact de cette main froide et moite. "Mon Dieu, pensa l'aubergiste, cet homme est malade, il va falloir que je nettoie sa chambre de fond en comble".
Vyyrm empoigna son havresac et se dirigea vers la sortie. L'aubergiste espérait secrètement que les deux "amis" dont avait parlé son client ne lui ressemblaient pas. Ce qui lui rappela quelque chose.
Aubergiste - Messire !
Vyyrm - *se retourne* Oui ?
L'aubergiste - Euh... À quoi... Je veux dire, comment reconnaîtrai-je vos amis ?
Vyyrm reposa son havresac et revint vers le comptoir, au désarroi de l'aubergiste.
Vyyrm - C'est facile. Ils seront vêtus de la même armure que la mienne.
Alors, il ouvrit sa cape.
En-dessous luisait une armure de cuir jaune. |