L’après midi était déjà bien entamée lorsque Sheena revint à l’auberge, bredouille. Malgré tous ses efforts, elle n’avait pas réussi à mettre la main sur cet enquiquineur de Zélos et avait dû déclarer forfait. Elle se dirigea vers la table où Génis et Régal jouaient une partie d’échec. Pour l’instant c’était Régal qui avait l’avantage mais Génis menaçait sérieusement plusieurs de ses pièces. Sheena tira une chaise vide vers la table et vint s’asseoir à coté d’eux, l’air boudeuse.
"Alors tu ne l’as pas rattrapé Sheena ? fit Génis sans lever les yeux de l’échiquier.
-Mmmh…, donna-t-elle en guise de réponse.
-Tu l’auras quand il reviendra…Echec et mat Régal ! J’ai gagné ! annonça-t-il victorieux.
-En effet…tu es un adversaire coriace Génis, le félicita Régal.
-Tiens où sont Colette et Préséa ? demanda Sheena en sortant de sa réserve.
-Colette ne se sentait pas très bien et nous avons estimé judicieux d’envoyer l’un de nous monter la garde auprès d’elle", lui expliqua Régal.
Sheena hocha la tête afin de montrer son accord avec la sage décision de ses compagnons. Bien que l’aubergiste ait acceptée de les cacher jusqu’au retour de Lloyd et du Professeur, ils n’en restaient pas moins dans une ville ennemie où leurs têtes étaient mises à prix. Et Colette, dans son état actuel, était une cible facile.
Le reste de l’après midi se passa sans incident majeur. Ils se relayaient au chevet de Colette et Sheena guettait toujours le retour de Zélos.
A la tombée du jour, il n’était pourtant pas revenu, attisant l’inquiétude de ses compagnons d’armes. Sheena faisait les cents pas autour du perron répétant aux autres qu’elle faisait ça uniquement pour être la première à lui foutre une bonne raclée. Génis s’abstint de tout commentaires.
Une heure plus tard, Sheena avait pratiquement creusé une tranchée (virtuelle bien sur) au niveau du pallier et les autres s’apprêtaient à passer à table, lorsqu’une longue chevelure rousse bien connue de tous apparut au bout de la rue. Sheena stoppa ses allés-retours et se mit à taper du pied en croisant les bras. Non mais où se croyait-il pour disparaître comme ça !
"Et bien ? Où étais-tu passé ?lâcha-t-elle froidement lorsque Zélos franchit la porte de l’auberge.
-Oh tu te faisais donc du souci pour moi ? Comme c’est gentil, lui répondit-il en guise d’explication, un petit sourire moqueur aux lèvres.
-Ne prends pas tes rêves pour la réalité Elu. Je m’inquiète pour la sécurité du groupe c’est tout. Tu aurais très bien pu te faire arrêter par les sbires du Pontife", fît-elle en haussant les épaules et en s’efforçant de conserver un air détaché.
Une forme drapée dans une cape de couleur marron fit son entrée à la suite de Zélos.
"Comment oses-tu t’adresser à maître Zélos de la sorte ?s’éleva une voix de la cape.
-Non mais c’est qui celle là ? " demanda Sheena.
La forme ôta la capuche de sa cape qui lui masquait le visage. Une très belle jeune femme à la coiffure irréprochable s’avança dans le rai de lumière révélant les anglaises de sa chevelure dorée.
"Je vous présente Diane, dit Zélos, c’est une…
-C’est une des membres de ton fan club, je la reconnais, l’interrompit sèchement Sheena.
-Toujours là, mochetée ? fit Diane d’un ton méprisant, les lèvres pincées comme si elle avait de la bouse sous le nez examinant Sheena des pieds à la tête. J’ai bien peur que tu ne te sois pas arrangée…
-Alors c’est pour CA que tu étais absent toute la journée ? Pour t’accoquiner avec cette … fille ??? Et dire que je …euh, que nous nous sommes inquiétés pour toi !
Nooon, mÔssieur Zélos préfère aller faire le joli cœur ; mÔssieur Zélos est tellement plus intelligent qu’il croit que tout lui est permis !!!
Tu n’as donc pas pensé une seule seconde qu’elle pouvait être une espionne à la solde du Pontife ? Non, ça c’est au dessus de tes forces ! –et toi on ne t’a pas demander ton avis, fit-elle à Diane- et je…je… ROOOH et puis tu m’ENERVES ! Je monte me coucher ! Bonsoir !"
Tous la regardèrent monter les escaliers en bois menant à l’étage supérieur, perplexes pour la plupart, surtout Zélos. Il s’attendait à la raclée du siècle, et finalement rien du tout. Plutôt soulagé, il entreprit de raconter sa mésaventure de la journée à Préséa, Génis et Régal devant un bon repas. Diane jetait des regards suspicieux autour d’elle. Cela n’était pas pensable que maître Zélos soit obligé de vivre dans un « taudis » pareil ! Quelle nourriture affreusement ordinaire !…Il avait de bien étrange compagnons, à commencer par cette aventurière de Sheena qu’elle n’avait jamais pu supporter ! Elle se devait d’intervenir. C’était sans aucun doute leur influence néfaste sur Zélos qui avait conduit à son bannissement de la capitale. Mais qu’à cela ne tienne ; elle saurait bien les confondre et faire revenir l’Elu du Mana dans le droit chemin.
Sheena était furieuse, elle détestait quand il se moquait d’elle comme ça. Elle pénétra dans la chambre et referma rageusement la porte derrière elle. Dans son trouble elle ne s’était plus souvenue que sa chambre, elle la partageait avec Colette. Celle-ci se réveilla en sursaut.
-Qu’est ce qu’il se passe ? s’exclama-t-elle en se redressant un peu trop brutalement sur son lit, ce qui lui tira une grimace de douleur.
Réalisant sa bourde, Sheena se précipita à son chevet :
"Ca va Colette ?dit-elle sur un ton d’excuse. Je suis désolée, vraiment désolée. J’étais en colère et …
-C’est bon Sheena, ce n’est rien, rien du tout, lui assura Colette.
-Mais…, commença Sheena.
-On dirait moi, à m’excuser tout le temps, fit Colette avec un sourire bienveillant. Ce n’est pas de ta faute. J’aurais dû me souvenir qu’il fallait que je fasse attention…" rajouta-t-elle en baissant les yeux.
Mue par une soudaine impulsion, Sheena entourant les épaules de Colette de ses bras, la serra contre elle. Colette se mit à rougir mais ne dit rien.
-Je te fais la promesse qu’on te sauvera coûte que coûte, lui murmura Sheena. Oui je te le jure.
Colette enfouit son visage dans son cou et pour la première fois depuis longtemps pleura doucement.
Minuit, heure des ombres et des esprits.
Mais celle qui s’aventure, agile, sans un bruit sur les toits de Meltokio, n’a pourtant rien d’un revenant.
Régulièrement elle s’arrête, se retourne, observant qu’on ne l’a pas suivit, semblant humer l’air de la nuit, visiblement à la recherche de quelque chose.
Puis soudain elle semble avoir repéré ce qu’elle cherchait et s’élance tel un funambule sur les crêtes de tuiles, défiant les lois de l’apesanteur. Elle finit sa course derrière une cheminée de grosses pierres, se confondant avec la noirceur ambiante. Un peu plus loin se dresse une auberge endormie. Au rez-de-chaussée, une bougie diffuse sa pâle lueur signe que tout le monde n’est pas encore couché. Sans doute le tenancier de cet établissement effectuant un dernier tour de ronde afin de vérifier que tout est fermé. L’ombre cagoulée sourit intérieurement. Comme si une vulgaire porte verrouillée pouvait l’arrêter. Scrutant l’obscurité ses yeux remontent jusqu’aux étages et remarquent une fenêtre ouverte à laquelle vient d’apparaître une jeune fille aux longs cheveux blonds. L’inconsciente, pensa l’ombre, elle me facilite le travail ! Resserrant sa prise sur ses armes de jets, elle se mit en mouvement.
Colette n’arrivait pas à trouver le sommeil. Se tournant et se retournant dans ses draps, elle avait dû faire croire qu’elle dormait afin de faire décoller Sheena de son chevet. Profitant de son absence momentanée, elle s’était levée et avait ouvert la fenêtre, histoire de prendre le frais. Elle suffoquait un peu.
Elle avait tellement peur de ce qui allait lui arriver si jamais Lloyd et le Professeur revenaient bredouille. Allait-elle se transformer en monstre comme Clara et Alicia, ou bien son corps n’allait-il pas pouvoir supporter une telle métamorphose ? Elle souffrait de devoir imposer à Lloyd de l’éliminer le cas échéant et qu’il soit par la suite torturé de remords le reste de sa vie tout comme Régal, qui avait allégé les souffrances d’Alicia.
Tout se mélangeait dans sa tête et elle laissa la brise nocturne balayer son visage avec l’espoir d’un quelconque éclaircissement, quand soudain deux mains noires surgies de nulle part l’agrippèrent. Par réflexe, Colette se rejeta en arrière, entraînant avec elle son agresseur dans la chambre. Le premier instant de surprise passé, celui-ci s’élança vers l’élue de Sylvarant qui avait toujours les fesses par terre, un peu sonnée par la chute.
Mais il ne fut pas assez rapide. Au moment où il allait s’emparer d’elle, un coup porté au plexus le repoussa en arrière. Sheena s’était interposé entre lui et sa proie. Il se releva et toisa la jeune femme d’un air méprisant. Tout deux s’affrontaient à présent du regard, guettant les moindres mouvements de l’autre. Ce serait à celui qui serait le plus rapide.
Sheena bondit la première et son adversaire para tous ses coups. Colette, effarée suivait le déroulement du combat sans un mot. Il lui était pourtant facile d’appeler de l’aide mais aucun son ne semblait vouloir sortir de sa bouche. Elle contemplait le ballet auquel se livraient les deux combattants. Ceux-ci utilisaient les mêmes techniques et aucun ne paraissait vraiment prendre l’avantage. Ils virevoltaient dans la pièce, ne faisant étrangement que peu de bruit.
Un affreux doute s’était emparé de Sheena, elle connaissait ces mouvements, cette technique de combat. Non, ça ne pouvait être…
-Ku…Kuchinawa, souffla-t-elle, interdite.
Celui-ci profitant de ce bref relâchement de vigilance, attrapa son poignet et lui tordit le bras dans le dos, la rendant inoffensive.
-Lui-même, chère Sheena, lui glissa-t-il à l’oreille, et tu sais donc parfaitement pourquoi je suis ici.
Sheena acquiesça, le kunai de Kuchinawa pointé sur la gorge.
"Depuis quand les ninjas de Mizuho ont-ils recourt à la prise d’otage ?demanda-t-elle, méprisante.
-Depuis que servir les ordres du Pontife et le maintient de l’ordre établi sont au goût du jour.
-Je ne te laisserai pas faire, cracha-t-elle.
-Et comment comptes-tu m’en empêcher ? Il suffit que j’appuie un peu plus et le tranchant de mon arme laissera un joli collier rouge sur cette superbe gorge. Ensuite je m’occuperais d’elle. Je sais que son chevalier servant n’est pas là pour la protéger, et c’était le seul vraiment à craindre d’ailleurs… " susurra-t-il en exerçant une légère pression avec l’acier de son kunai contre la peau de Sheena, faisant perler une goutte de sang.
-Tu ne fera rien du tout ! s’exclama une voix fluette.
Kuchinawa releva la tête. Génis et Préséa se tenaient dans l’encadrement de la porte et fixaient le ninja avec détermination. Derrière eux, Régal tenait Colette dans ses bras.
-Lâche Sheena, espèce de traître !gronda Génis.
Kuchinawa eu un éclat de rire moqueur, mais plaça tout de même Sheena devant lui en guise de bouclier. Il appuya un peu plus fort sur le cou de sa prisonnière. Un mince filet rouge imprima un sillon ensanglanté le long de sa gorge tremblante.
"Ce ne sont pas deux enfants, dont un demi-elfe, et, un prisonnier en fuite, qui vont m’empêcher d’avoir ce que je suis venu chercher, cracha-t-il avec suffisance.
-Mais moi, si ! " fit une voix railleuse sur sa droite.
Zélos s’était faufilé sans bruit, profitant du fait que l’attention du ninja était fixé sur ses trois autres compagnons. Il pointait à présent l’extrémité de sa dague sur sa carotide.
-Maintenant, lâche-la !reprit-il d’une voix dure où toute trace d’amusement avait disparu.
Sheena fixa Zélos, surprise, et elle ne fut pas la seule. Tous les regards étaient tournés vers lui. C’était bien la première fois qu’il parlait avec autant de sérieux et de froideur. Ses yeux bleus étaient glacés de colère contenue et fixaient Kuchinawa comme si ils avaient été seuls dans la pièce. « Je ne l’avais jamais vu dans un état pareil »songea Sheena.
Kuchinawa se sentait à présent pris au piège, et reculait prudemment en direction de la fenêtre ouverte. Il ouvrit brusquement les bras et repoussa avec force sa captive vers Zélos. Celui-ci reçut Sheena de plein fouet, perdit l’équilibre et tomba en arrière, l’entraînant dans sa chute. Profitant de ce moment de confusion, Kuchinawa prit la fuite et ombre parmi les ombres, s’enfonça dans la nuit.
L’instant de surprise passé, Préséa et Génis se précipitèrent vers la fenêtre, espérant apercevoir la direction dans laquelle il s’était enfui.
Toujours à terre, Sheena et Zélos s’observaient. Penchée au dessus de lui, elle fouillait son regard du sien à la recherche de l’habituelle trace de moquerie. Mais à sa grande surprise, elle n’y trouva que de l’inquiétude et du soulagement. Elle se mit à rougir bien malgré elle et baissa les yeux. Une goutte de sang tomba sur le visage de Zélos et il s’apprêtait à ouvrir la bouche, lorsqu’il fut interrompu par la voix de Diane qui venait de pénétrer dans la pièce.
-Mais enfin qu’est ce que c’est que tout ce vacarme, c’est insensé ! Les honnêtes gens ne peuvent plus dormir en paix ?
Préséa, Génis et Régal lui jetèrent un regard noir.
-Bon Sheena, tu te lèves s’il te plait ? Tu es un peu lourde là…fit Zélos retrouvant instantanément son air badin comme si la seule présence de Diane avait suffit à le faire réintégrer son costume de Dom Juan. Confuse, Sheena s’empressa de se relever, une sensation de creux dans le ventre. Zélos se redressa à son tour et entreprit d’épousseter ses habits.
"Oh par la déesse Martel ! Mais vous êtes blessé maître Zélos !s’exclama Diane en se précipitant vers lui.
-Mais non très chère, ce n’est rien, lui assura Zélos en essuyant d’un geste impatient la goutte de sang.
-Vous ne pouvez pas rester ainsi, déclara-t-elle. Il faut vérifier que vous n’avez rien. Vous êtes trop téméraire", ajouta-t-elle en roucoulant.
Le prenant par le bras, elle força Zélos à le suivre en bas. Sans un regard vers Sheena, celui-ci la suivit docilement, se vanta de son intervention en en rajoutant des tonnes comme d’habitude, et en prenant son air de « je-sais-que-je-suis-un-héros-et-je-porte-le-poids-du-monde-sur-mes-épaules », ce qui le rendait vraiment imbuvable !
Sheena le regarda s’éloigner, acceptant distraitement le mouchoir que lui tendait Colette pour essuyer le mince filet de sang qui s’écoulait encore lentement de la plaie sur son cou. Elle n’arrivait pas à s’expliquer de façon logique ce qu’elle avait perçu dans les yeux de Zélos tout à l’heure, ni l’étrange sensation que cela avait provoqué en elle. Pourquoi éprouvait-elle ce sentiment de déception à présent que Zélos était retourné jouer les bourreaux des cœurs comme à son habitude ? Etrange… elle se sentait frustrée et bizarrement avait envie de pleurer. De rage ? De tristesse ? Elle n’aurait su le dire.
"Montre moi ça Sheena, lui dit doucement Régal en lui posant une main sur l’épaule. Il ne faudrait pas que cela s’infecte.
-Oui…" répondit distraitement Sheena.
Il la fit asseoir sur le lit le plus proche et sortit de sa poche une petite boite en fer blanc contenant une sorte de pâte verdâtre et visqueuse, dont il enduit généreusement la plaie de Sheena.
"La blessure n’est pas profonde. Cet onguent va accélérer la cicatrisation et empêcher les infections. Tu ne gardera aucune cicatrice…Voilà c’est terminé. Sheena ?
-Mmh ?
-J’ai terminé.
-Hein ? Ah oui !...euh…Merci Régal.
-Ecoute, pour Zélos…commença-t-il en se penchant vers elle.
-Quoi Zélos ! répondit brusquement Sheena. Je me fiche de savoir se qui se passe dans la tête de cet imbécile !"
Elle se leva précipitamment, terrifiée à l’idée que Régal ait pu voir sa gêne lorsqu’il avait prononcé le nom de l’élu de Tésséha’lla. Elle descendit quatre à quatre l’escalier, passa en coup de vent devant Génis, Préséa, Colette, Zélos et Diane, et sortit dans la rue calme, éclairée par quelques lampes à gaz. Une fois hors de vue de l’auberge, elle souffla profondément, essayant de chasser son trouble.
Resté seul dans la chambre après son départ, Régal prononça ses mots pour lui-même.
-Moi, je ne pense pas que se soit la vérité Sheena…
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