Pourquoi a-t-il fallu qu’elle se mêle de tout ? Si elle n’avait pas découvert mon secret, je n’aurais pas eu à la tuer. Elle n’aurait pas autant souffert du sort que je lui ai lancée. Pourtant je l’aimais bien, c’était une camarade de chambre assez gentille et pas très futée. C’était toujours : « Cassandra, tu pourrais m’expliquer ce problème, je n’arrive pas à comprendre ? ». Cela me flattait qu’elle me considère comme la plus intelligente et la plus jolie fille du campus. De toute manière, il y a des tonnes de filles comme elle ici, à prolonger des études sans véritable débouchés pour trouver un fils à papa bien riche. Avec ma silhouette et mon charme, il ne me sera pas difficile de me trouver de nouveaux amis pour me servir de faire-valoir.
Je n’ai plus rien à voir avec la fille boulimique que j’étais au lycée. Tout cela grâce à ce livre. Il a transformé ma vie.
Au lycée, j’étais toute aussi bête que ma camarade de chambre, je n’arrivais pas à retenir un seul mot ou une seule date des bouquins qu’on nous forçait à lire. Les garçons me traitaient de grosse truie et ne cessaient de me ridiculiser en public, quant aux filles, elles étaient dégoûtées par mon apparence et m’ignoraient totalement de peur que je ternisse leur image de poupée Barbie.
Un jour de pluie, les cours venaient de finir et tandis que j’ouvrais mon parapluie, un garçon me le faucha. J’ai couru après lui. Les ruelles étaient de plus en plus étroites et sombres et comme il allait très vite, j’ai finalement perdu sa trace. En voulant revenir sur mes pas, je me suis aperçue que je m’étais vraiment éloignée et que j’étais perdue. La pluie commença à battre de plus belle. J’étais désespérée et je n’osais pas frapper aux portes des maisons tellement elles étaient sales et vieilles. Je me disais que ces habitations avaient l’air abandonnées. Qui pourrait vivre dans un endroit pareil ? Puis, mes pas me conduisirent devant une boutique qui était ouverte. En pénétrant à l’intérieur, j’espérais que le propriétaire accepterait que je passe un coup de téléphone pour avertir mes parents mais en regardant les étagères, je me sentis mal. En effet, la boutique était remplie de bocaux avec des choses visqueuses : des yeux globuleux, des crapauds morts, des mains de singes – ou quelque chose de similaire – des dents de requins, et bien d’autres choses que je ne saurais décrire. Soudain, mon regard fut attiré par une lueur étrange émanant d’un livre. Les lettres inscrites dessus étincelaient comme mille étoiles réunies. Je pus tout de même lire : « Réalisez tous vos souhaits ». L’auteur était anonyme. Alors que j’ouvrais le livre pour en connaître le contenu, j’entendis des pas venant de l’étage supérieur et quelqu’un hurler : « Est-ce qu’il y a quelqu’un en bas ? », je répondis rapidement que j’étais perdue et que je cherchais un téléphone pour appeler mes parents, tout en cachant le précieux livre dans mon cartable. Le propriétaire était trapu et maigre, il avait même l’air malade. Il prit le téléphone derrière le comptoir et me demanda mon nom et mon numéro de téléphone qu’il composa aussitôt. Quelques minutes plus tard, mes parents venaient me chercher.
Le soir, je m’enfermai dans ma chambre et parcourus le livre. Une page attira mon attention. « Comment devenir une beauté fatale » Cela ressemblait à une farce. Il suffisait de lire une sorte d’incantation et d’en attendre les effets qui n’agiraient que pendant le sommeil. Enfin, c’est un passe temps comme un autre…
« Fille du soleil, donne-moi tes pouvoirs pour éblouir de ma beauté les pauvres mortels,
Fille de la lune, donne-moi tes pouvoirs pour éclipser de ma beauté les pauvres mortelles,
Fille de la nuit, donne-moi tes pouvoirs pour faire oublier mon ancienne image à ces pauvres mortels. »
Je m’endormis aussitôt. Et le lendemain matin, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me vis dans la glace. J’étais mince et mon visage était absent de toute trace de boutons d’acné. Je me précipitai alors sur le livre et lus une autre page. « Comment s’approprier les connaissances contenues dans un livre ». La formule était plus compliquée. Il fallait un chaudron, des yeux de chauve-souris, un litre de bave de crapaud et bien entendu un livre.
Je décidai de me rendre à nouveau dans cette étrange boutique. On aurait dit que le propriétaire m’attendait et savait pourquoi j’étais venue car les ingrédients ainsi que le chaudron étaient déjà préparés sur le comptoir. En me les tendant, il me dit : « Le livre vous a choisie, vous êtes destinée à faire de grandes choses. » A l’époque, je ne voulais pas en savoir plus, et je partis sans demander mon reste. Rentrée à la maison, je me précipitais dans ma chambre et prépara la mixture étrange décrite dans le livre. Je décidai de tenter le tout pour le tout et de prendre le livre magique comme test. Je le tint donc au dessus du chaudron et récitai la formule magique :
« Que les mots soient miens ! ! »
Soudain, le livre s’anima et flotta tout seul au dessus du chaudron. Les pages tournaient et à chaque fois, les lettres brillèrent et se détachèrent pour tomber dans la décoction. Quand toutes les pages devinrent vierges, le livre se posa sur la table de chevet. Il fallait maintenant boire la mixture. Connaissant les ingrédients, j’hésitais un peu, mais si je ne le faisais pas, j’aurais fait tout ça pour rien. De plus, je n’avais pas pensé à faire une copie du livre. Je pris mon courage à deux mains et bus la potion. Etrangement, le goût fut agréable. On aurait dit du sirop d’érable.
Depuis ce jour là, je connais toute les pages du livre même celles que je n’ai pas eu le temps de lire. J’ai renouveler l’expérience pour bon nombre de livres de la bibliothèque. C’est ainsi que je suis devenue l’étudiante la plus intelligente et la favorite de tous les professeurs. Les examens étaient devenues des formalités.
C’est lors d’une expérience magique sur un crapaud que ma camarade de chambre me surprit. J’avais pourtant mis le foulard sur la poignée de la porte qui signifiait que je désirais être seule, mais cette idiote était tête en l’air et n’y a pas prêté attention. Alors j’ai dû la tuer. Elle allait tout raconter. J’aurais perdu mes amis et l’estime des professeurs. Vous comprenez, n’est-ce pas ? Je n’avais pas vraiment le choix.
Le psychiatre qui avait écouté Cassandra arrêta le magnétophone et se tourna alors vers le miroir sans teint. De l’autre côté, l’inspecteur Thomas Linley et le sergent Barbara Havers de Scotland Yard notaient la « confession » de Cassandra Hammersmith, accusée du meurtre d’Elisabeth George. Visiblement, la fille croyait dur comme fer qu’elle possédait des pouvoirs magiques qui avaient fait d’elle une jeune fille belle et intelligente. Il n’en était rien. Elle était boudinée et ses cheveux lui tombaient sur le visage négligemment. On avait retrouvé sur le lieu du crime le fameux livre et les pages étaient intactes, les formules magiques étaient toujours inscrites à l’intérieur contrairement à ce que disait Cassandra. En interrogeant les professeurs, il s’est avéré que la jeune fille avait des notes ne dépassant guère la moyenne et seule la richesse et l’influence de sa famille avaient persuadé le directeur de l’université à la garder. Visiblement, elle s’était inventée un monde bien à elle, ne supportant pas la réalité. Elle passera probablement ses prochaines années dans un hôpital psychiatrique à moins que sa famille ne décide d’étouffer l’affaire. En tout cas, pour l’inspecteur Linley l’affaire est close.
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