" Dis, Lubio... " demanda Erine, " Pourquoi m'avoir emmenée là-bas ? "
Ils étaient tous deux allongés sur le grand sofa noir du salon du premier étage, en face de la chambre du garçon. Il s'était recroquevillé contre son dos et l'avait enserrée de ses bras.
" Je voulais vous présenter l'une à l'autre. " lui souffla-t-il à l'oreille, " J'en avais fait la promesse à ma mère. "
" Vraiment ? " fit sa compagne d'une voix intriguée.
" Oui. Je lui avais promis, peu de temps avant sa mort, que lorsque j'aurais trouvé une personne avec qui je voulais vivre, pour qui je voulais vivre, je la lui présenterais. "
La jeune fille entendit son ami rire tristement.
" Mais c'est vrai que j'aurais préféré qu'elle soit encore en vie à cet instant... "
Elle prit ses mains et les serra doucement.
" Si ça peut te consoler, " murmura-t-elle, " je suis sûre qu'elle t'a entendu et qu'elle m'a acceptée. C'était une femme vraiment gentille. "
" Oui... "
Le silence s'installa. Faisant tourner machinalement l'écrin du bracelet entre ses doigts, Erine repensa au jour où elle avait rencontré la mère de Lubio, au jour où elle l'avait soignée comme si elle était sa propre fille. Ce jour là, elle avait eu l'impression d'avoir retrouvé sa propre mère l'espace d'un instant. Puis elle se souvint des chiennes, si petites, si légères, si mignonnes à l'époque. Et puis, Aurorine... sa dispute avec le petit garçon... le flanc chaud et battant de la jument...
" Lubio... ? "
Il allongea le cou et posa son menton contre le flanc de la jeune fille.
" Oui ? "
" Ca fait longtemps que je me demande... Pourquoi tu fuis les chevaux ? "
Elle sentit les mains du garçon se crisper sur son ventre.
" Qu'est-il arrivé ? " continua-t-elle, " Tu en as peur ? Tu as eu une mauvaise expérience ? "
" En fait, je ne me l'explique pas moi-même... " dit-il en fouillant dans sa mémoire, " Chaque fois que je m'approche d'un cheval, il devient nerveux. Une fois, l'un d'entre eux s'est mis à paniquer et à ruer. J'ai failli me faire écraser ce jour là. "
" Quoi ? " fit-elle, stupéfaite, " Pourtant Aurorine avait l'air de t'apprécier autrefois. Qu'as-tu fais pour qu'ils ne t'aiment plus ? "
Elle le sentit hausser les épaules.
" Je ne sait pas. Depuis mes seize ans, c'est comme ça. Alors j'évite de m'en approcher. "
" C'est dommage. " souffla-t-elle, " Tu avais l'air de vraiment les aimer, toi. "
Elle perdit son regard dans le ciel qui s'éclaircissait peu à peu de l'autre côté de la porte-fenêtre qui menait à la terrasse. Lubio bailla, elle l'imita. Leur nuit blanche les avait épuisés.
" Lubio ? " appela-t-elle après un instant de silence.
Le garçon ne réagit pas.
" Lubio ? " réitéra-t-elle en se tournant vers lui.
La tête de son compagnon bascula en avant, s'appuyant contre la poitrine d'Erine. Il dormait à poings fermés. La jeune fille sourit, sentant la caresse du souffle chaud de son ami à travers ses vêtements. Elle l'étreignit et murmura :
" Fais de beaux rêves, Lubio... "
Les chiennes se mirent à aboyer furieusement et frénétiquement. Erin s'éveilla en sursaut. Son coeur battait la chamade. Elle se frotta les yeux et se tourna vers Lubio qui était assis à côté d'elle. Il avait l'air interdit, apeuré.
" Lubio ? " dit-elle d'une voix endormie, " Que se passe-t-il ? "
Il ne réagit pas, les yeux écarquillés, comme s'il assistait à une horrible scène. Dans le jardin, les chiennes continuaient leur concert d'éclats de voix. La jeune fille commençait à avoir un mauvais pressentiment.
" Lubio... ? "
Le garçon se ressaisit soudain et, se levant d'un bond, attrapa la main de la jeune fille.
" Viens ! "
Il se précipita à travers la salle, entrainant sa compagne à sa suite, et défonça la porte vitrée qui menait à la terrasse. Il se pencha au-dessus de la balustrade et regarda en direction de la forêt : des dizaines et des dizaines de petites masses noires surgissaient de l'orée qui reflétait les derniers rayons flamboyants du soleil couchant. Elles se dirigeaient vers eux à une vitesse alarmante. Les premières bêtes avaient déjà parcouru la moitié du trajet entre le bois et la maison de Lubio et la forêt continuait de vomir des attaquants, toujours plus nombreux, toujours plus rapides.
" Pousse-toi ! " cria le garçon à Erine.
Elle recula de quelques pas. Son ami attrapa le poteau en fer qui soutenait la petite girouette en forme d'aigle et l'arracha du sol avec une telle facilité que la jeune fille crut, l'espace d'un instant, qu'il avait été prédécoupé en prévision de ce moment.
Le garçon abattit l'arme rudimentaire sur la tête de dragon de la gargouille qui soutenait le coin de la rambarde adjacent au mur du salon. La sculpture vola en éclats, laissant apparaître un boîtier en métal surmonté d'un bouton rouge et d'un autre violet. Lubio les pressa tous deux : une alarme puissante se fit entendre, résonnant dans toute la plaine, tandis que quatre trappes s'ouvrirent dans le toit de la maison, laissant surgir des projecteurs géants dont les rayons de lumières s'agitaient en direction de la frondaison.
" Em ! " hurla-t-il par-dessus la rambarde, " Abri ! "
Immédiatement, les cinq chiennes se turent et filèrent ventre à terre vers leur niche commune. Puis, sans lâcher son bâton de fer, il prit la main de son amante et cria :
" Suis-moi ! "
Ils retraversèrent le salon du premier étage en direction de l'escalier qu'ils dévalèrent quatre à quatre. Lubio courait si vite qu'Erine en perdait l'équilibre et, par deux fois, elle faillit chuter dans les marches étroites. Arrivés au bas de l'escalier, elle et lui traversèrent la salle à manger à toute allure et s'engouffrèrent dans le couloir menant au salon. Tout en courant, le garçon frappa le verre des trois miroirs qui pendaient négligemment au mur. Malgré la force des coups, aucun ne se brisa. Un énorme bruit sourd résonna alors, faisant trembler toute l'habitation. Il semblait provenir du salon vers lequel ils se dirigeaient.
Erine était paniquée et, en même temps, piquée d'une extrême curiosité : pourquoi son amant se cloîtrait-il dans la maison alors que les ennemis étaient presque sur eux ? Pourquoi ne fuyait-il pas ? Elle avait tant de questions à l'esprit à cet instant qu'elle se résolut à ne plus rien comprendre et se contenta de suivre son bras tiré vers l'avant.
Ils débouchèrent enfin dans le salon. Devant la bibliothèque, là où se trouvait auparavant l'immense tapis bleu nuit, gisait maintenant une trappe béante de même dimension qui laissait entrevoir un escalier fait d'une matière inconnue à la jeune fille. Alors que son ami l'entraînait dans les profondeurs, elle s'arrêta.
" Attends ! Où m'emmènes-tu !? "
" A l'abri loin d'ici ! Dépêche-toi ! "
" Mais... mes chaussures ? "
On entendait dehors les bêtes gronder, gratter, hurler. Elles étaient déjà dans l'enceinte de la propriété.
" On a pas le temps ! Viens ! "
Lubio la tira vers lui, l'obligeant à descendre les marches aussi dures que la pierre mais aussi lisses que le bois poncé. Puis il tâtonna la paroi et la trappe se referma, les plongeant ainsi dans le noir le plus total.
" Reste près de moi. " dit sa voix désincarnée, " Et surtout, quoi que tu vois, ne crains rien. Tant que je suis près de toi, tout ira bien. "
Une vive lumière les éclaira. Elle provenait d'un néon accroché au-dessus de leur tête. Erine regarda le garçon : il avait un air rassuré, presque serein, bien qu'il semblait toujours un peu pressé.
Un autre tube de verre s'alluma plus loin, puis un autre, puis encore un autre. Bientôt devant eux se déployait un tunnel ovale dont le sol, les parois, le plafond, tout était fait dans la même matière grisâtre que l'escalier se dressant dans leur dos.
La jeune fille sentit son ami glisser sa main dans la sienne et l'emmener plus avant.
" Nos vies ne sont-elles donc plus en danger ? " se demanda-t-elle intérieurement.
Au même instant, il lui parla :
" Il va y avoir beaucoup de choses que tu ne connais pas là où nous allons. Ca va être très dur pour toi, aussi j'essaierai de t'expliquer. Mais je ne pourrai pas tout te dire, pas tout de suite : tu ne le supporterais pas. Moi-même, je n'ai pas tout accepté immédiatement, il m'a fallu beaucoup de temps. "
" Mais de quoi tu parles ? "
A dire vrai, Erine ne comprenait déjà pas ce que signifiait tout ce qu'il venait de se passer. Des boutons dissimulés dans des statues, des projecteurs qui surgissaient du toit, une trappe maquillée en tapis, cette installation bizarre... C'était déjà bien plus de mystères que quiconque ne pouvait en supporter d'un coup.
" Tu verras. " continua son amant, " Mais n'oublie pas : quoi qu'il arrive, quoi que tu ressentes, je serais là pour toi. Je t'aiderai, toujours... "
Ils commencèrent à avancer lentement, suivant le couloir faiblement incliné qui sentait la poussière. Le sol était lisse et frais sous les pieds de la jeune fille.
Ils passèrent devant une paroi transparente derrière laquelle s’étendait un long tunnel fait d’un matériau blanc inconnu, si long qu’Erine n’en voyait pas le bout. Elle se tourna vers son compagnon, le regard interrogateur. Il lui sourit tendrement et la serra contre son côté. Plus loin, ils arrivèrent devant une grande porte en métal. Erine remarqua qu’elle n’avait ni poignée, ni serrure. Ils semblaient être dans une impasse.
Son homme ouvrit un boîtier en fer gris encastré dans le mur, découvrant un clavier, et appuya sur une série de touches sans même regarder ce qu’il faisait. Il donnait l’impression d’avoir répété ce geste toute sa vie. Un bruit fit alors sursauter son amie : avec une expiration aiguë, sifflante, mécanique, le panneau métallique se fendit en deux et libéra l’accès à une pièce immaculée et inquiétante au centre de laquelle un étrange appareil oblong, long de deux mètres environ pour un mètre et demi de hauteur, émettait un son grave et vrombissant. La moitié supérieure dudit appareil était transparente et laissait voir à la jeune fille quatre sièges en cuir brun, placés en travers les uns à côté des autres. Quant à la moitié inférieure, d’un blanc opaque, elle était encastrée dans le sol, de part et d’autre d’un gros rail blanc qui se perdait sur leur gauche dans un tunnel semblable à celui devant lequel ils étaient précédemment passés.
Erine tremblait un peu face à tout cet inconnu et se pressa contre le jeune homme. Elle se sentait fébrile et avait terriblement sommeil. Son amant déposa un baiser dans sa chevelure et lui murmura :
" N’ai pas peur, c’est un moyen de transport sûr. Il va nous emmener loin du danger. "
Ca, un moyen de transport ? Se moquait-il d’elle ?
La jeune fille se sentait totalement désorientée. Sa tête lui faisait mal et sa douleur était amplifiée par son manque de sommeil. Les larmes lui montèrent aux yeux.
Elle se blottit contre le torse du garçon; il l’enlaça et, lui caressant le dos, lui demanda d’une voix douce qu’elle lui dise ce qui la faisait pleurer. Mais elle ne lui répondit pas. D’ailleurs, elle ne pouvait lui répondre, car elle ne connaissait pas elle-même la cause de son chagrin. Etait-ce dû au mal-être qu’elle ressentait face à toutes ces découvertes qui bouleversaient son monde ? Etait-ce dû au choc de l’attaque qui l’avait chamboulée ?
Non, elle savait que ce n’était pas ça. Elle lui avait fait confiance, elle lui avait tout donné, tout confié, et lui lui avait caché tout ça. Bien sûr, elle comprenait son silence, car il était Gardien. Mais elle ne pouvait toutefois s’empêcher de se sentir trahie, abusée par ces secrets que son amant avait envers elle. C’était ça la source de sa tristesse : elle se trouvait près de celui qui était son univers, et pourtant elle était seule, perdue au milieu de l’inconnu.
Lubio la prit délicatement par l’épaule et l’amena près de l’appareil.
" Pose ta main dessus. " lui dit-il doucement.
La jeune fille obéit, sans plus aucune volonté de comprendre ce qui lui arrivait. Elle était trop fatiguée, sa tête lui faisait trop mal.
Au contact de sa paume, la partie transparente bascula en sifflant, laissant libre accès aux sièges. Son ami la fit alors s’asseoir sur le second fauteuil de cuir et prit lui-même place sur le premier. Erine était installée confortablement. Ce fauteuil était si chaud, si moelleux. Elle avait tant envie de dormir, de se reposer loin de tous ces soucis, d’échapper au plus vite à cette réalité illogique.
Le garçon appuya sur une touche du clavier de bord adjacent à son siège. L’appareil se referma et prit rapidement de la vitesse. Ils entrèrent dans le tunnel, des lumières défilèrent à toute vitesse au-dessus d’eux, mais Erine ne les vit pas : elle dormait déjà.
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CECI SERA SUPPRIME PLUS TARD
Je sais pas où le mettre, donc ici je suis sûr que tu le liras :
Asuka, libère de la place dans ta messagerie !!! ^_^'
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