De retour à Hokkaido, Yuki posa son pied pour la dernière fois chez « Yahana ». Il prit l'ascenseur vers le troisième étage où son bureau se situait. Sa secrétaire accourut vers lui dès qu'elle l'aperçu et le harcela de questions. Il lui pria de bien vouloir se taire, qu'il répondrait à toutes les questions mais qu'avant, il devait ranger son bureau.
« Ranger son bureau », une sorte de mot de code pour évoquer une démission. Choquée, la jeune femme laissa tomber ses dossiers qu'elle tenait en main et les ramassa en hâte espérant ne pas être vue.
Yuki sortit de son bureau avec une lettre à la main, pliée dans un origami qu'il rendit des deux mains à son patron. Ce dernier resta imperturbable. Il se pencha fouilla quelque chose dans sa corbeille et ressortie une boulette en papier. Il appela sa secrétaire puis il lui tendit la boulette.
- Dites-lui qu'il est embauché et qu'il soit là demain à la première heure. Une seconde de retard et il est viré.
La jeune femme fut perplexe, mais devant l'air sérieux de son supérieur, elle s'inclina plusieurs fois, prit la boulette à deux main et rejoint son bureau, prit le combiné téléphonique et composa les numéros.
Yuki fit demi tour et se dirigea vers l'ascenseur. Il se sentit alléger. Après plusieurs mois à Hokkaido, il serait bientôt rentrer chez lui, à Tokyo près de sa soeur qui lui avait tant manqué.
Au passage, il adressa un dernier sourire à son ancienne secrétaire, pour qui, il eut beaucoup d'estime. Cette femme était toujours pleine de vie.
En face de l'ascenseur Yuki appuya sur le bouton et patienta. Les portes ouvertes, il entra, appuya sur le bouton du rez-de-chaussé. Il reposa sa tête contre l'une des parois. Personne ne lui avait forcé à déménager de Sapporo, pourtant il ressentit une once de tristesse. Il respira un bon coup et l'ascenseur s'arrêta, non pas à rez-de-chaussé mais au troisième étage. Les portes s'ouvrirent sur... William Doyle.
Yuki baissa la tête et joua avec son portable. Avec un peu de chance William le confondrait avec un autre. Yuki se rappela une confession de son collègue au sujet des japonais qui se ressemblaient tous. Ce jour-là, Yuki espéra ressemblait à n'importe qui, mais pas à lui-même. Il n'avait aucune envie de parler et connaissant l'écossais, il devrait tout lui dire. Toutefois, le souhait du jeune tokyoite ne se réalisa pas, il sentit une tape sur l'épaule, « à l'européenne » . Il fut obligé d'entamer les salutations et enchaîna rapidement sur sa décision de partir définitivement. William se figea.
- Tu es sur? J'espère que tu as trouvé mieux, car ici, tu as un travail tranquille. En plus tu es le meilleur employé du mois !
- Je retourne chez moi et reprend les commandes de l'entreprise familiale.
William réfléchit un instant.
- Alors, ce boulot que tu as ici à « Yahana » n'était qu'un test pour prouver à ton père que tu avais les capacités? Et cet emploie, tu l'as eu par piston aussi?
L'écossais était indigné, mais se résigna. Yuki est un gosse de riche. Il avait de la chance, un point c'était tout. William dévia son regard et sourit ironiquement.
- Retourne dans ta prison dorée. Tu n'as rien à faire ici.
Yuki se dispensa de tout commentaire. Ils sortirent ensemble de l'ascenseur et prirent des chemins différents pour rejoindre leur propre voiture. William ne paraissait pas plus affecter que ça.
« Après tout ce que j'ai fait pour lui, pensa Yuki, il aurait pu me dire au revoir... »
Le jeune japonais décida d'appeler un taxi et alluma son portable qu'il avait éteint depuis qu'il était parti pour Tokyo. Une fois l'initialisation faite, il vit huit appels en absence et vingt-trois SMS. Tous provenant de Niji Kaeda.
Yuki sentit son coeur s'arrêter de battre. « Niji ». Il n'avait plus pensé à elle depuis un moment. Une chaleur ténébreuse l'envahit. Comment lui expliquer? Il parcourut les messages écrits d'un bref coup d'oeil et se culpabilisa. Elle s'inquiétait tellement pour lui, et lui qu'avait-il fait pour elle, hormis lui mentir? Pas grand chose. Il appela un taxi et l'emmena dans son appartement. Il fit ses bagages puis rangea le peu qu'il y avait un l'intérieur. Pas grand chose. Il enfila un manteau, souleva sa valise et descendit les marches. Il appela la propriétaire de l'appartement pour lui annoncer qu'il partait. Il avait mit les clés dans la boîte aux lettres et laissa une enveloppe avec le loyer du mois. Il garda une autre enveloppe qu'il préféra donner en main propre.
Le taxi l'attendait toujours. Yuki lui dicta une nouvelle adresse, celle de Jin. A sa porte, il inspira profondément avant de sonner. La tante de Niji s'empressa d'ouvrir et lorsqu'elle l'aperçu le jeune homme, elle ne put retenir son exclamation, s'empressa de le prendre dans ses bras, comme son propre neveu.
- En voilà un mine tristounette ! Tu as remarqué une ride sur ton visage pour ne pas sourire?
Jin, une femme qui aimait tout faire. Une pile électrique sur pieds qui n'hésitait pas à envoyer tous ces ions positifs pour vous remettre d'aplomb et vous redonner du courage. Yuki peina à sourire.
- Niji-san est là?
- Gomen ! Elle ne vit plus ici ! Elle vient de temps en temps passer le bonjour ou m'aider pour les courses, mais tu auras plus de chance de la trouver chez son petit ami.
- Petit ami? Répéta-t-il
- Oui, l'européen ! Bill qu'elle l'appelle. Un brave gars, mais j'étais si persuadé que toi et ma petit Niji finirait ensemble que je me suis toujours dit que cette histoire ne durerait pas très longtemps.
- Ils... Ils vivent ensemble.
- Hai ! Et depuis quelques jours. Niji m'a appelé hier soir et tout se passe bien a priori.
Yuki avala de travers. Il n'avait pas l'impression d'être partie si longtemps. Une semaine, grand maximum, mais suffisant pour un déménagement.
- Entre voyons ! Insista Jin. J'ai leur adresse sur un bout de papier et j'ai du thé sur le feu aussi.
- Je vous remercie, mais je vais vous laisser.
- Encore ! Tu ne finiras donc jamais !
- Je vous rassure, c'est le dernier. Donnez ceci à Niji et transmettez lui tous mes voeux de bonheur.
Jin, un peu prise au dépourvue, prit la lettre l'analysa et regarda Yuki.
- Une lettre d'adieu?
Il ne répondit pas, préféra marcher en arrière, fit signe de la main et déclara « Au revoir Jin-san! »
Le chauffeur de taxi regarda son client par le rétroviseur. Il n'était pas né de la dernière pluie et savait interpréter les signes du visage.
- Isogaba maware. Déclara le chauffeur.
Yuki toisa le chauffeur d'incompréhension.
- Inu mo arukeba bô ni ataru. Continua-t-il
Yuki reconnut des proverbes japonais. « Si on se presse on tourne en rond » et « Si un chien se met à marcher, il trouvera un bâton. » Il préféra dormir.
Aux portes de l'aéroport, le chauffeur réveilla son client. Somnolant, Yuki lui tendit maladroitement la monnaie puis sortit. Il resta un instant sans mouvoir pendant que le taxi faisait demi tour en direction d'un autre client.
Yuki sentit son portable vibrer, le nom de « Niji » apparut. Jin avait dû tout lui raconter, mais elle n'avait pas encore lu la lettre. Rien ne pressait. Yuki éteignit son portable et le jeta dans une poubelle publique.
Un nouveau Yuki Suzuki naîtrait. |